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du P. Armel Duteil


Les ŒUVRES de MISERICORDE, 3° Œuvre corporelle : Visiter les PRISONNIERS

Nous sommes toujours dans l’Année de la Miséricorde. Aujourd’hui, nous allons réfléchir à la miséricorde envers les prisonniers et leurs familles. Cela fait partie des œuvres de miséricorde traditionnelles. Et c’est ce que Jésus nous demandera Lui-même à la fin du monde : « J’étais prisonnier, est-ce que tu es venu me voir ? ». Qu’est-ce que tu as fait pour moi ? « Tout ce que tu fais au plus petit de mes frères, c’est à moi que tu le fais » (Mat 25, 36+40). On nous demande de visiter les prisonniers. Mais d’abord nous voyons bien que visiter les prisonniers c’est très compliqué. On ne peut pas entrer dans une prison comme ça, il faut une autorisation spéciale. Et si tu n’es pas parent, cela devient difficile, même pour les groupes reconnus, comme par exemple l’aumônerie des prisons. Alors qu’est-ce que nous pouvons faire ?


Pour les prisonniers eux-mêmes, bien sûr, nous pouvons toujours prier pour eux. Et cela reste possible d’aller en groupe, leur apporter un soutien, de la nourriture, des produits d’hygiène et d’autres choses. A condition d’avoir l’autorisation de l’administration pénitentiaire, et de faire tout ce qu’il faut pour cela.

Mais ce qui est peut-être le plus important, c’est de voir et d’aider leurs familles. En effet, ceux qui souffrent le plus, ce n’est pas le chef de famille qui est en prison mais c’est sa famille, sa femme, ses enfants. Parce que lorsque le chef de famille est en prison, bien sûr il ne travaille plus. Alors sa femme ne reçoit plus d’argent pour vivre, pour nourrir la famille, ni pour payer le loyer. A ce moment-là, ils sont renvoyés de chez eux, ils n’ont plus de logement. Il n’y a plus d’argent non plus, pour payer l’école pour les enfants et ils sont renvoyés. C’est pour cela que, même si nous ne pouvons pas aller visiter les prisonniers, essayons de connaître les familles des gens qui sont en prison, qui habitent dans notre quartier. Ceux-là nous pouvons aller les voir, nous pouvons les aider, nous pouvons les soutenir.


Les problèmes des prisons. Les gens n’ont plus de liberté : c’est la punition qu’on leur donne. Ils ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent, ni aller où ils veulent. Mais très souvent ils passent de nombreuses années, avant d’être jugés, certains jusqu’à 4, 5 ou 6 années. Ce n’est absolument pas normal. Si quelqu’un a été arrêté pour avoir commis une faute, il a le droit d’être jugé le plus rapidement possible. Surtout que dans certains cas on les reconnaît innocents, ou on les condamne simplement à une peine avec sursis. Ou bien on les condamne à un an ou deux ans de prison, alors qu’ils en ont déjà fait beaucoup plus, Il y a donc tout ce problème des attentes des jugements dans l’incertitude, qui est une peine supplémentaire que l’on fit supporter aux prisonniers, et à leurs familles bien sûr. Ce n’est pas normal.

Il serait important de revoir aussi certaines des condamnations. Lorsqu’une femme a avorté, est-ce que la solution, c’est de la mettre en prison ? Bien sûr ce qu’elle a fait, ce n’est pas normal. Mais elle-même, elle sait bien que ce qu’elle a fait ce n’est pas bon. Elle se culpabilise déjà elle-même. Et donc, elle a plus besoin d’être écoutée et soutenue, que d’être condamnée. Si elle a avorté, ce n’est certainement pas par plaisir, c’est qu’il y avait une raison, il y avait un problème. Et ce qui est important, au lieu de la mettre en prison, c’est de voir pourquoi elle a avorté. Et quand on connaît les causes, de trouver une solution à son problème. Mettre ces femmes dix ans en prison, c’est une solution de facilité, mais qui ne résout pas du tout les problèmes. C’est une hypocrisie. Et en plus, en prison, une femme qui a avorté se retrouve en prison, avec d’autres femmes qui ont commis des choses beaucoup plus graves. Vivre dans ce milieu de la prison, est-ce que ça va l’aider à regretter, à changer sa vie, à prendre de bonnes résolutions ? Ou est-ce que vivre avec d’autres femmes qui ont commis de graves délits, est-ce que cela ne va pas la pousser elle aussi à devenir encore plus mauvaise ? Le problème de la prison, c’est qu’on se contente de punir, mais on n’éduque pas, on n’aide pas les gens à s’en sortir, on ne cherche même pas les vraies solutions aux problèmes, qui les ont entraînés jusque là.

De même ce serait important que l’on repense à la pénalisation de la drogue. Etre porteur d’un cornet de yamba, bien sûr ce n’est pas normal. C’est une faute, pas seulement contre soi-même mais contre la société, Vendre du yamba pour gagner sa vie, ce n’est pas une solution : il faut chercher autre chose. Mais quand même, fumer un cornet de yamba et transporter de l’héroïne ou de la cocaïne, ce n’est quand même pas la même chose. Car ce sont des drogues très dures, et alors on rentre dans un circuit de dealers (vendeurs) assassins, avec tout ce que cela comporte jusqu’au niveau international. On a supprimé aussi les tribunaux d’assise. Les gens doivent être jugés dans leur région. Mais cela met beaucoup de temps à se mettre en place.

Il y a aussi les conditions de vie dans les prisons. Les détenus se retrouvent à plus de 100 personnes enfermés dans une même pièce, avec les toilettes à l’intérieur qui ne sont pas fermées, avec la chaleur et la promiscuité (tous mélangés). Certains doivent dormir par terre, et même parfois tête bèche, les pieds à la hauteur de la tête de l’autre. Et si tu dois te lever la nuit pour aller aux toilettes, tu ne peux plus revenir, tu n’as plus de place. En plus, tu déranges tout le monde et tu te fais insulter. Ce ne sont pas des conditions normales ni humaines de traiter les gens. Bien sûr, le gouvernement fait des efforts, on a augmenté l’argent qui est donné par détenu chaque jour, mais cela est encore très insuffisant pour avoir une nourriture saine et équilibrée, et des soins de santé minimum. Il reste encore beaucoup d’efforts à faire pour mettre en pratique ce qui a été décidé.


Qu’est-ce que l’aumônerie catholique essaie de faire ? L’aumônerie catholique des prisons a mis en place plusieurs commissions : d’abord la commission socio-économique. C’est la commission pour visiter les prisonniers : on essaie de répondre à leurs besoins matériels en nourriture, en habits, des piles pour la radio pour écouter des nouvelles, des médicaments, des lunettes et toutes les aides matérielles qu’on peut apporter tout au long de l’année. Pas seulement un repas de fête qu’on apporte à Noël ou à Pâques. Cela c’est trop facile. On fait un grand repas avec beaucoup de dépenses et de gaspillage, mais après qu’est-ce que les gens vont manger, tout au long de l’année ? Est-ce qu’on a répondu à leurs besoins en santé ? Est-ce qu’on leur donne les moyens d’avoir une vie plus humaine et plus communautaire avec davantage d’entente avec les autres ?

Et puis il y a la commission d’assistance judiciaire pour soutenir les détenus pour leur jugement. D’abord trouver des avocats, qui acceptent de prendre en charge au moins un ou deux dossiers bénévolement. Car beaucoup de détenus n’ont pas les moyens de se payer un avocat. Et pour ceux qui en ont les moyens, il faut suivre les affaires. Car bien sûr, celui qui est en prison ne peut pas aller voir son avocat pour faire avancer le dossier. La commission judiciaire peut l’y aider.

La Commission spirituelle : elle travaille d’abord avec les catholiques pour leur formation spirituelle. Elle organise des réunions pour faire grandir la foi (prières, eucharistie), aider et soutenir les gens, et organiser la catéchèse pour ceux qui veulent être baptisés. Cette commission essaie aussi de rendre meilleures les relations entre chrétiens et musulmans, dans un véritable dialogue. Pas seulement des discussions, mais chercher à mieux vivre ensemble, en s’acceptant les uns les autres. Et déjà soutenir les détenus musulmans, aussi bien que les chrétiens, au niveau matériel, mais aussi psychologique et moral, et même spirituel.

La commission formation : Il faut penser aussi à fournir des occupations saines et utiles et une formation, aux gens qui sont en prison. C’est pour cela que l’aumônerie a lancé, par exemple à Liberté 6, un certain nombre d’ateliers, en trouvant des outils et du matériel pour la petite mécanique, la forge, l’électricité, les ateliers d’art, de sculpture, la peinture pour faire des tableaux. L’aumônerie a aussi pris en charge l’installation d’une salle informatique avec les ordinateurs et l’électricité. Pour que, pendant tout ce temps où les détenus sont en prison, ils puissent se former et apprendre un métier. Pour cela, nous avons cherché à responsabiliser les détenus eux-mêmes. C’est-à-dire que ce sont les artisans, ceux qui connaissent l’informatique, ou bien les enseignants qui peuvent alphabétiser, qui organisent eux-mêmes ces ateliers, et qui les fait marcher. Ils sont ainsi utiles à leurs frères, et préparent la sortie et le retour en famille et à la vie en société (la réinsertion).

On parle beaucoup de réinsertion. Mais en fait, pour beaucoup de détenus lorsqu’ils sont libérés, on leur ouvre simplement la porte de la prison. On ne leur donne même pas l’argent pour retourner chez eux. C’est un très grand problème pour ceux qui habitent les autres régions du Sénégal, et surtout pour les étrangers pour pouvoir retourner chez eux. Nous essayons de savoir à l’avance auprès de l’administration pénitentiaire quand ils vont être libérés, lorsque leur libération est décidée, pour contacter leurs familles, pour que la famille puisse les accueillir à nouveau. Car il y a certaines familles qui refusent d’accueillir les détenus à leur sortie. Et même pour celles qui acceptent, il faut voir comment préparer leur accueil, pour qu’ils puissent vivre à nouveau en paix en famille. Nous leur cherchons aussi un travail si c’est possible, pour qu’ils aient de quoi vivre, et nourrir leur famille. Sinon ils vont retomber dans la délinquance. C’est ce que l’on voit chez un certain nombre de détenus libérés qui n’ont pas de moyen de vivre : ils retombent dans la vente de la drogue ou les agressions, et au bout de quelques mois ils sont à nouveau en prison.

La commission Culture et Communication, pour participer avec les autres ONG et organisations à l’animation culturelle qui se fait dans la prison, fournir des livres pour ceux qui savent lire, soutenir l’alphabétisation.

Et surtout la Commission de l’écoute : accueillir les gens sans distinction, quelle que soit leur langue, ou leur religion, pour simplement les écouter. Les détenus ont besoin de trouver des gens à qui parler, des gens en qui ils ont confiance, qui vont les accueillir avec miséricorde et qui vont, dans la mesure du possible, chercher à les aider.

Et également donner de leurs nouvelles à leurs familles. Souvent les détenus ne peuvent pas communiquer avec leurs familles. L’aumônerie à travers les coups de téléphone, cherche à rester en contact avec les familles. Et aussi avec internet pour ceux qui habitent au loin. Les familles ont besoin de cette miséricorde et de ce soutien lorsque l’un de leurs membres est en détention.

Enfin, Il y a tout l’aide au niveau de la santé : fournir des produits d’hygiène, de l’eau de javel, du savon, du dentifrice. Et aussi lorsque c’est possible fournir des médicaments, prendre en charge des ordonnances médicales, parce que les soins de santé en prison sont très limités.

La réconciliation, entre les prisonniers et leurs victimes. C’est une chose importante qui est beaucoup plus difficile, mais que nous essayons de faire, lorsque des deux côtés ils l’acceptent : que le prisonnier reconnaisse le mal qu’il a fait, et puisse demander pardon à ceux à qui il a fait du mal. Et que les victimes et leurs familles puissent rencontrer les détenus, et leur pardonner. C’est cela le but que nous cherchons, pour arriver à une véritable miséricorde


Une vraie miséricorde, ce n’est pas seulement avoir pitié des prisonniers, penser à eux, et prier pour eux. Bien sûr tout cela c’est important, mais il faut aussi les aider concrètement. Le Pape François nous a rappelés avec force que la miséricorde, c’est mettre en pratique les œuvres de miséricorde : aider les gens dans leurs corps (les œuvres corporelles), mais aussi dans leur esprit, dans leur cœur et dans leur âme (les œuvres spirituelles). C’est tout cela que nous essayons de mettre en place dans les aumôneries, qui sont autorisées à travailler dans les prisons. Toute cette action bien sûr, elle est faite en Eglise. Et pas seulement parce que nous sommes dans l’Année de la Miséricorde. Il s’agit bien d’un travail de tous. Ce travail nous le menons aussi avec la Caritas, pour avoir des moyens pour aider ces détenus, pour des habits ou pour d’autres besoins. L’aumônerie travaille aussi avec la Commission Justice et Paix, pour que les prisonniers soient traités plus justement, et pour les aider à vivre en paix entre eux. Mais aussi pour défendre leurs droits, pour qu’ils soient jugés d’une manière juste et le plus rapidement possible. Et que toutes les Conventions que le pays a signées soient véritablement mises en pratique. C’est une action d’Eglise qui s’adresse à tout le monde, pas seulement aux chrétiens mais à tous les détenus, qui se fait en lien avec les autres ONG qui interviennent.

Cette miséricorde qu’on essaie d’avoir pour les détenus, c’est important aussi de l’avoir par exemple pour les malades. Et aussi pour accueillir les étrangers et les émigrés, qui sont nombreux parmi nous. Et ceux qui viennent des villages. Tous ceux qui ont besoin de notre soutien, les chômeurs, les familles nécessiteuses, surtout les plus pauvres, ceux qui sont les plus fatiguées, qui vivent dans une extrême pauvreté. Et puis les handicapés, les infirmes, tous ceux qui font des petits métiers, qui travaillent comme coxer à la gare routière, comme apprenti, comme porteur au marché. Pas seulement les enfants mais aussi les mamans qui se débrouillent pour nourrir leurs familles. C’est toutes ces personnes, et beaucoup d’autres encore qui ont besoin de notre miséricorde.

Donc, que chacun essaie de faire ce qu’il peut, pour être plus miséricordieux envers les prisonniers s’il en connaît et s’il peut les voir, mais également envers les familles des prisonniers qui sont autour de nous, et pour soutenir l’aumônerie des prisons. Mais surtout, chacun où il est, pour agir pour un monde plus juste. Soyez miséricordieux comme le Père est miséricordieux ! Apprenons à ceux qui nous entourent à être aussi miséricordieux, pas seulement nous-mêmes. Ensuite, ensemble construisons un pays de miséricorde. Cela dépasse notre force. MMais Jésus nous a dit : « Recevez le Saint Esprit ». Avec la force de l’Esprit Saint, l’Esprit de force, l’Esprit de consolation, l’Esprit d’amour, ce sera possible.

Bon courage à tous ! Merci de nous avoir lu. Et merci surtout pour tout ce que vous pourrez faire.





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